Le Hamas a-t-il intérêt à entrer dans une guerre avec Israël ?
Jean-François Legrain : Dans le contexte des derniers mois, le Hamas n’avait absolument pas intérêt à une guerre ni à jouer la surenchère. Ainsi, je n’arrive pas à croire que son commandement ait commandité l’enlèvement des trois jeunes Israéliens en Cisjordanie, le 12 juin ; il a d’ailleurs démenti cette version israélienne. Pendant les trois semaines entre l’enlèvement et la « découverte » des corps, l’armée israélienne a frappé la structure du Hamas en Cisjordanie et il n’y a eu pendant cette période que de très rares tirs (non revendiqués) de roquettes depuis Gaza. Le Hamas n’a pas voulu faire monter les enchères.
Mais à un moment, il a considéré qu’il ne pouvait pas laisser les attaques israéliennes sans réponse. L’élimination de sept combattants du mouvement dans une attaque de drone israélien sur la bande de Gaza, le 7 juillet, a ainsi été considéré comme un acte d’agression rompant le cessez-le-feu avec Israël négocié avec le partenaire égyptien en novembre 2012. L’engagement avait été pris qu’aucune partie ne mènerait une opération militaire contre l’autre. Le Hamas et son aile militaire, les brigades Ezzedine Al-Qassam, ont alors considéré qu’ils devaient répondre.
C’est dans la tradition de leurs pratiques pendant la seconde intifada (2000-2005) : quand il y avait une élimination ciblée ou un bombardement meurtrier, le Hamas répondait par un attentat-suicide. En revendiquant des tirs de roquettes, ils ne faisaient d’ailleurs que s’associer à l’éventail d’organisations islamistes ou même nationalistes membres de l’OLP (Brigades des martyrs d’Al-Aqsa du Fatah, Fronts populaire et démocratique de libération de la Palestine) qui, elles aussi, tiraient des roquettes.
Y a-t-il des divisions au sein du Hamas sur la stratégie à adopter ?
Autant que l’on puisse le savoir, pas sur ce qui se passe actuellement, même s’il y a en permanence une négociation interne entre les diverses tendances. Il y avait eu de fortes divergences vis-à-vis de l’accord de réconciliation, signé le 23 avril avec le Fatah du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, mais sur ce dossier, il y a un consensus affiché sur le mode opératoire et la nécessité de répondre face à un certain niveau de violence. L’évolution de cette réponse dépendra de la politique adoptée par Israël.
Quelles sont ses relations avec les autres mouvements palestiniens de la bande de Gaza ?
Le Jihad islamique est un acteur très important. C’était le cas déjà en 2012 où il avait tiré un nombre de roquettes équivalent sinon supérieur à celui du Hamas. Il n’est pas assujetti au Hamas, mais a sa propre logique, tout en jouant le compromis avec ce dernier. C’est un mouvement proche de l’Iran mais dans le cadre des négociations actuelles avec les États-Unis sur son programme nucléaire, l’Iran n’aucun intérêt à s’impliquer comme puissance qui jouerait la carte de la violence.
Il y a une sorte de compétition militaire entre les deux mouvements mais pas sur le reste. Le Jihad, en effet, a toujours refusé de prendre part au processus d’Oslo et n’a donc pas participé aux élections de l’Autorité palestinienne, à la différence du Hamas. Il n’a jamais non plus cherché comme lui à développer un vaste réseau associatif car il se voit comme un mouvement d’avant-garde, fait de petits groupes. Il faut aussi signaler que les organisations nationalistes participent elles-mêmes aujourd’hui aux tirs de roquettes, y compris celle qui se revendique du Fatah.
Le vice-responsable du bureau politique du Hamas, Moussa Abou Marzouk, a appelé le peuple palestinien dans son ensemble à se soulever pour une troisième intifada. Peut-on s’attendre à un tel scénario ?
Je ne crois pas. Il n’y a pas eu de soulèvement en décembre 2008 (opération « Plomb durci ») ni en novembre 2012 (opération « Pilier de défense »). Les récents heurts étaient très limités géographiquement et dans le reste des territoires, il y a eu très peu de mobilisation. De ce point de vue, le sort de la bande de Gaza paraît bien déconnecté de celui du reste de la Palestine y compris dans les opinions publiques, qui apparaissent de plus en plus prisonnières des localismes.
Quelle peut-être l’issue ?
Le Hamas ne baissera vraisemblablement pas d’un ton. Il y a certes une part de bluff dans ses menaces mais il a la capacité à porter des coups, comme le montrent les tirs sur Tel-Aviv ou Jérusalem. Est-il pour autant en possession de missiles sophistiqués capables de précision sur une longue portée ? Il le prétend depuis des années mais n’en a jamais fait usage. En mars, Israël avait dit avoir intercepté en mer Rouge un navire transportant des missiles en provenance d’Iran, mais ces accusations n’ont jamais pu être établies. Le Hamas, cependant, ne peut pas se permettre de céder devant Israël, d’autant plus qu’il semble bien bénéficier du soutien de la population et des autres mouvements. Le niveau de violence infligé par Israël et l’importance portée par la population à la question des prisonniers palestiniens, dont le Hamas s’est toujours fait le porte-parole, ne peuvent que susciter un soutien, malgré le prix à payer.
La question est donc de savoir comment cela va s’arrêter ? Une fois encore, on peut observer une absence totale d’intervention extérieure seule à même d’enrayer la spirale. Les Américains comme les Européens se limitent à de simples déclarations. A la différence de ses prédécesseurs Hosni Moubarak et Mohamed Morsi, le nouveau président égyptien, le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, semble lui-même avoir décidé de jouer la montre en ne s’impliquant pas. Les rumeurs faisant état de sa médiation ont ainsi été démenties du côté palestinien. Le président Mahmoud Abbas ne peut rien faire (le veut-il d’ailleurs ?), il n’a aucune marge de manœuvre. C’est une des contradictions anciennes de la politique israélienne : il délégitime l’Autorité palestinienne alors même qu’il en a un besoin impératif.
Sa politique vis-à-vis de Gaza et du Hamas est elle aussi totalement contradictoire : le Hamas, comme il l’a montré pendant ces sept années où il a géré seul la bande de Gaza, constitue l’un des éléments de la stabilité souhaitée par ses voisins ; les périodes de calme ont ainsi été beaucoup plus importantes que les périodes de violences – dont l’initiative, dans le cas de 2008-2009 et 2012, venait d’Israël. Ne s’agirait-il alors que d’épuiser les réserves en armement de Gaza, dès lors que l’Egypte, décidée à la destruction du Hamas, a détruit la majeure partie des tunnels de Rafah et que l’Iran se montre de moins en moins encline à incarner la ligne de « résistance » sur la scène régionale et internationale ? Le Hamas pourrait alors être indirectement remis en selle par Israël, toujours décidé à lutter contre toute réunification entre la Cisjordanie et la bande de Gaza.